Monsieur et Madame Tang, du Cambodge à Angers : 40 ans d’histoire.

Afin d’inaugurer  » Le portrait du mois « , Monsieur et Madame Tang ont accordé un entretien à L’Institut Confucius :

 

1. D’où venez-vous ?

 

Nos parents sont des Chinois du sud de la Chine, à côté de Hong-Kong. Ils ont quitté la Chine très jeunes et se sont installés au Cambodge à cause de la guerre sino-japonaise. A cette époque, beaucoup de gens ont quitté la Chine pour s’installer en Asie du sud-est. Leurs descendants demandaient la plupart du temps la nationalité locale car cela leur facilitait la vie. Nous sommes nés au Cambodge, nous nous sommes rencontrés là-bas. A cette époque-là (années 1950), il y avait environ 500 000 Chinois sur une population totale de 5 millions de personnes. Nous avons obtenu la nationalité cambodgienne après l’indépendance du Cambodge. Par ailleurs, le pays ayant étant sous protectorat français pendant plusieurs années, nous avons appris principalement trois langues : le chinois, le cambodgien et le français, et parfois l’anglais. Dans ce pays, la plupart des Chinois étaient commerçants.

2. Depuis combien de temps êtes-vous en France ?

 

Après la seconde guerre du Vietnam, durant laquelle le Laos et le Cambodge étaient impliqués, beaucoup de gens ont quitté le pays. En ce qui nous concerne, nous avons quitté le Cambodge en 1974. Nous sommes allés au Laos pendant un an, puis en Thaïlande durant un mois et enfin en France.

 

3. Pourquoi avoir choisi la France ?

 

Nous avons choisi la France car le Cambodge était un ancien protectorat français et la France acceptait les réfugiés venus de l’ex-Indochine. Et si l’on parlait français, l’obtention du visa pouvait se faire encore plus rapidement. C’était un visa à l’établissement définitif qui, comme son nom l’indique, nous accordait le droit de nous installer pour toujours en France. Comme nous étions des réfugiés d’Indochine, nous avons pu obtenir notre nationalité française plus facilement car, étant nés sous le protectorat français, le gouvernement considérait que c’était une sorte de récupération de notre propre nationalité. Nous l’avons obtenue en 1980. A partir de ce moment-là, nous avons perdu notre nationalité cambodgienne et avons décidé de nous installer définitivement en France.

 

4. Quelles sont les difficultés principales et les satisfactions que vous avez rencontrées lorsque vous êtes arrivé en France ?

 

Au début, la plus grande difficulté a été, je crois, la nourriture car nous avions l’habitude de manger à la chinoise ou à la cambodgienne. De plus, à cette époque, il était difficile de trouver les ingrédients que nous avions l’habitude de consommer. Une seconde difficulté, a été le manque d’amis car, même si nous n’étions pas venus seuls dans la région, on était tous éparpillés et on ne se voyait presque pas. Enfin, nous n’avions pratiquement pas de loisirs car on ne comprenait rien à la télévision, c’était dur. Finalement, la nourriture n’était pas le plus important, car quand on a faim, c’est toujours bon ! La plus grande satisfaction, a été d’avoir trouvé du travail assez rapidement, cela nous a consolé et nous a permis d’être occupés. De plus, les gens étaient très gentils, ils nous disaient toujours « bonjour », ils étaient très souriants, très accueillants.

 

5. Pouvez-vous nous parler de votre travail en France ?

 

A notre arrivée, nous avons été pris en charge par le centre de la Croix Rouge à Paris. Nous avons reçu leur aide et avons pu perfectionner notre français. Un mois plus tard, on nous a proposé un travail de cueillette des pommes dans le Maine-et-Loire, à Cheviré-le-Rouge, que nous avons accepté. Nous étions une trentaine, nourris et logés par le patron. Une fois la saison terminée, j’ai répondu à une annonce dans les journaux pour un poste d’enseignant de chinois à l’IPLV (Institut de Perfectionnement en Langues Vivantes) de l’UCO (Université Catholique de l’Ouest) et j’ai été embauché pour donner des cours de chinois durant environ trois ans. Ensuite, ma femme a trouvé du travail dans le libre-service à côté de la gare d’Angers.

 

6. A ce niveau, en quoi la culture du travail est-elle différente par rapport à ce que vous avez connu en Asie ?

 

En France, le travail est beaucoup plus ponctuel, plus régulé, il est à horaires relativement fixes, il y a des temps de pause et de congés définis. Là-bas, il y a environ quarante ans, il n’y avait pas de règles, on ne regardait pas l’heure, le jour, quand le patron nous disait de travailler, on y allait. Ici, c’est moins stressant.

 

7. Avez-vous des amis Français ? Des Chinois ? (En France)

 

Oui, maintenant nous avons un peu plus d’amis français et chinois de Chine, surtout depuis que nous sommes en contact avec l’Institut Confucius. Sinon, nous nous sommes principalement fait des amis par l’intermédiaire du travail.

 

 

8. Avez-vous gardé des relations avec de la famille, des amis en Chine, au Cambodge ? Retournez-vous régulièrement là-bas ?

 

Nous avons de la famille au Cambodge mais nous sommes sans nouvelles. Nous avons aussi de la famille, des oncles, en Chine et aux Etats-Unis. Nous allons souvent en Chine. Nous avons des voisins qui sont partis du Cambodge à la même époque que nous pour le Canada. Là-bas, ils ont pu s’épanouir et gagner plus d’argent que s’ils étaient restés au Cambodge. De plus, leurs enfants ont plutôt bien réussi, tout comme les nôtres. Je crois que l’on peut dire que la situation est plutôt favorable pour les descendants d’émigrants asiatiques qui émigrent vers les pays riches. C’est un peu l’enseignement de Confucius qui dit que « même si vous n’avez pas réussi dans votre vie, il faut faire tout votre possible pour que votre descendance y parvienne, car sa réussite sera le reflet de la vôtre ».

 

9. Avez-vous transmis cette culture asiatique à vos enfants ?

 

Nous leur avons plus ou moins transmis. C’est-à-dire qu’on leur a expliqué les façons de se comporter etc. mais, en ce qui concerne la langue, ils n’ont pas eu beaucoup d’occasions de pratiquer la langue chinoise car nous habitions en province et la communauté chinoise n’était pas assez importante pour ouvrir des cours, comme cela se faisait à Paris.

 

10. Qu’est-ce qui vous manque le plus par rapport à vos racines ? Envisagez-vous un jour de repartir vivre en Asie ?

 

Nous sommes très bien ici. Nous aimons voyager, passer quelques mois en Chine, mais à la retraite, je pense que nous resterons en France, car du point de vue de la santé, des soins, de l’environnement etc., je crois qu’ici c’est mieux. De plus, Angers est comme un amour maternel, car nous sommes ici depuis plus de quarante ans, alors que la Chine est plutôt le lieu qui nous permet un retour aux sources, voir nos amis, avoir des loisirs et pratiquer un peu plus la langue chinoise.

 

11. Quelles sont vos impressions à propos de l’Institut Confucius ?

 

C’est une bonne initiative pour développer les échanges culturels entre la France et la Chine. C’est un peu comme les Alliances françaises qui se sont installées dans plusieurs pays. Quand on a le temps, on vient voir les activités organisées par l’Institut Confucius, c’est intéressant car cela permet de rencontrer d’autres gens.